Normes éthiqes après Nuremberg
Gonzalo Herranz, Departamento de Bioética, Universidad de Navarra.
Friburgo, 1996.
A. Chronologie de la réception du Code de Nuremberg dans les codes professionnels
a. Ce qui a été accepté à travers Helsinki
b. Ce qui n'a pas été accepté du Code de Nuremberg
J'ai été chargé de vous offrir une description de la manière dont le Code de Nuremberg a influencé les normes éthico-profes-sionnelles postérieures à 1947 dans les pays de l'Europe, exception faite du Royaume Uni, et en Amérique Latine. Je n'ai pas pu réunir tout le matériel qu'il aurait été nécessaire pour une étude complète. Aussi, les données et les commentaires qui suivent, bien que représentatifs, ne sont que provisoires. Il me semble toutefois qu'il n'est pas incorrect de proposer une conclusion: l'influence du Code de Nuremberg sur les codes d'éthique médicale a été tardive et partielle.
En premier lieu, tardive. De 1947 à 1975, le Code de Nuremberg fut pratiquement ignoré par les organisations médicales nationales et internationales, l’Association Médicale Mondiale (AMM) y compris1.
Ce fut, en réalité, à travers Helsinki II que la doctrine de Nuremberg fut reçue dans les codes d'éthique médicale. Ce n'est que récemment, au cours des deux dernières décennies, que le Code de Nuremberg a été redécouvert et qu’il commença à être considéré comme l'étoile polaire de l'éthique de la recherche biomédicale2.
En second lieu, l'acceptation des contenus du Code de Nuremberg n'a jamais été complète: dans le champ professionel, les normes déontologiques et les guides d'éthique médicale ont mis de côté, comme un idéal inaccessible, certains composants du Code de Nuremberg, composants qui, à mon avis, se comptent parmi ses éléments éthiques les plus nobles: l'affirmation que l'investigateur aussi bien que le sujet doivent agir comme des agents moraux sincères, incorruptibles, engagés.
Après contact postal, réitéré si nécessaire, avec 40 associations médicales nationales de l’Europe (22 pays) et de l’Amérique Latine (18 pays), j’ai pu réunir et réviser au total 74 codes ou règlements professionnels d'éthique médicale publiés après 1947, en provenance de 17 pays d'Europe et de 15 pays d'Amérique Latine. La table 1 signale les pays et l'année de la publication des Codes examinés.
Pour détecter et caractériser l'effet que le Code de Nuremberg a exercé sur les normes éthiques postérieures, j'ai utilisé un instrument heuristique très simple: une liste schématique des dix préceptes du Code de Nuremberg qui ont été pris comme marqueurs ou empreintes de son inflence. Pour favoriser l'analyse, il parut convenable de diviser ces marqueurs en deux groupes. Le premier contient ceux qui ont été incorporés, en plus ou moins grande mesure, aux successives versions de la Déclaration d'Helsinki et qui, en général et à travers elle, sont passés aux codes d'éthique des Ordres, Chambres, Associations ou Collèges de médecins3. Le second groupe comprend deux critères éthiques qui n'ont pas été assumés par Helsinki et qui, en fait, ont été abandonnés par l’entière normative éthique postérieure4. Ces deux types de "marqueurs" sont présentés à la Table 2 (a et b).
A. Chronologie de la réception du Code de Nuremberg dans les codes professionnels
Contrairement à ce qu’on affirme d’ordinaire, le Code de Nuremberg resta oublié des associations médicales pendant deux décennies. Et il en fut presque de même quand l’AMM publia sa Déclaration d’Helsinki I, qui recueille les points principaux de Nuremberg. Son impact sur les codes d’éthique médicale fut très limité, sinon négligeable. Il fallut attendre à 1975 pour voir la doctrine de Nuremberg se repandre amplement.
En effet, les codes antérieurs à 1975 omettent le traitement éthique de l'expérimentation humaine où ils lui prêtent une attention rudimentaire. Dans les Codes de l'époque il n’est pas rare de tomber sur des normes de la teneur suivante: “Le médecin -lit-on dans le Code de Déontologie publié en 1950 par le Conseil Supérieur de l'Ordre des Médecins de la Belgique- doit éviter tout traitement non fondé, de même que toute expérimentation téméraire et s'abstenir de tout acte médical par lequel il pourrait nuire. Il lui est interdit de provoquer des maladies ou des états morbides sauf -dans le seul but d'observation scientifique- consentement formel du sujet dûment averti des risques auxquels il s'expose”. De l'autre côté de l'Atlantique, le Code de Morale Médicale (1954) de la Fédération Médicale Colombienne prescrit: "Le médecin doit avoir un grand respect pour la personne humaine et, pour ce, il évitera prudemment [...] toute expérimentation irréfléchie, [...] et tout acte portant atteinte à l'indépendance de la volonté ou à la liberté d'une personne saine d'esprit [ ]. Il est défendu de favoriser, chez l'être humain, l'apparition de maladies ou de les prolonger, pas même à des fins de recherche scientifique".
Mais, il est très fréquent de trouver encore dans les Codes latino-américains l’autorisation d’appliquer, dans des circonstances de gravité exceptionelle, un procédé experimental qui s’avère comme l’unique possibilité de racheter la vie du malade, avec le consentement préalable du patient et l’accord favorable de trois confrères appelés en consultation.
Avant 1975, seule la Suisse, en Europe, et le Brésil, le Costa Rica, le Pérou et le Vénézuela, en Amérique Latine, s'étaient fait écho d'Helsinki I. La première, moyennant les Directives pour la recherche expérimentale sur l'homme, promulguées par l'Académie Suisse des Sciences Médicales le 1er Décembre 1970, offre une réglementation qui transmet non seulement les contenus d'Helsinki I, mais qui les enrichit avec des éléments pris du Code de Nuremberg que Helsinki avait laissé de côté. Les Directives ont figuré depuis lors comme Appendice aux Codes de Déontologie de la Fédération des Médecins Suisses et des Sociétés Cantonales de Médecins: ils viennent tous à dire que les investigations scientifiques sur la personne humaine sont réglementées par les directives correspondantes de l'Académie Suisse des Sciences Médicales.
Le 30 janvier 1953, l’Association Médicale du Brésil approuva un Code d’Éthique, officiellement reconnu quelques années plus tard par la Loi Nº 3268 du 30 septembre 1957. Son article 57 introduit dans un code profesionnel pour la première fois, bien que d’une façon très simple, la doctrine du consentement libre et informé à l’expérimentation sur l´homme: “Même s’ils sont consentis, les expériments in anima nobili avec des propos spéculatifs sont condamnables. Ils peuvent être tolerés pour des finalités strictement thérapeutiques ou diagnostiques, dans l’intérêt du même malade et s’ils n’impliquent pour le sujet de péril de sa vie ou de dommage sérieux. Dans tel cas, on doit procéder à obtenir le consentement préalable, spontané et exprès du patient s’il jouit de l’usage des facultés mentales et est parfaitement informé des conséquences possibles de l’expérience”.
Le Collège Médical du Pérou insère, le 12 mars 1970, dans l’article 94 de son Code d’Éthique et de Déontologie le texte complet d'Helsinki I. L’Union Médicale Nationale du Costa Rica réglementa le 18 août 1970 l’expérimentation sur l’homme dans trois chapitres de son Code de Déontologie médicale intitulés respectivement: L’expérimentation impliquant un risque pour le malade, L’expérimentation avec des médicaments nouveaux, et La recherche sur l’homme pour résoudre des problèmes de connaissance ne relevant pas de la thérapeutique. De son côté, l'Union Médicale Nationale, du Vénézuela, consacre dans son Code de Déontologie Médicale de 23 janvier 1971 des normes qui sont en grande partie calquées d'Helsinki I.
A partir de 1975, le processus de réception dans les Codes des normes sur l'expérimentation humaine s'accélère en Europe5. Le Code de Déontologie Médicale, publié cette même année par le Conseil National de l'Ordre des Médecins de la Belgique contient une réglementation moderne et assez complète du sujet, clairement inspirée sur Helsinki II. L'Ordre des Médecins d'Italie réglemente l'expérimentation clinique en 1978, en lui dédiant un chapitre entier de son Nuovo Codice Deontologico, tandis qu'en Espagne il faut attendre à 1979 pour trouver la même chose. En 1979 aussi, un nouveau Code de Déontologie est publié en France et pour la première fois, mais de façon très brève, on fait mention de la matière.
En Irlande, la réglementation éthique codifiée est confiée au Medical Council par la Medical Practitioners Act de 1978. Dans la première édition de son Guide to Ethical Conduct and Behaviour, publiée en 1981, il n'y a aucune mention concernant l'éthique de l'expérimentation sur l’homme. Pour qu'elle apparaisse, il faut attendre la seconde édition, celle de 1984, qui, de même que les deux suivantes, celles de 1989 et 1994, inclut un paragraphe sur l'Investigation sur l'homme, et insère comme appendice le texte de Helsinki II.
L'Ordre des Médecins du Portugal dédie un Chapitre de son Code de Déontologie de 1985 à l'expérimentation humaine qui transmet une grande partie de la doctrine d'Helsinki II.
Le cas de l’Allemagne est frappant. Ce n’est seulement qu’à partir de 1985, que la Deutsche Ärztekammer mentionne brièvement et schématiquement dans sa Berufsordnung l'expérimentation sur l'homme et impose l'obligation de consulter une commission d'éthique et de suivre les directives de la déclaration d’Helsinki I et II (Berufsordnung 1985), d’Helsinki I, II et III (Berufosordnung 1988) et d’Helsinki I, II, III et IV (Berufsordnung 1993). L’introduction de cette norme a été suscitée par la necéssité d’inclure des critères éthiques sur l’expérimentation sur l’embryon humain6.
Les Codes des associations médicales des pays nordiques ne sont pas très expressifs en matière d'éthique de l'investigation biomédicale. On m'a communiqué personnellement que dès 1964 la Déclaration d'Helsinki constitue pour les associations médicales scandinaviennes le guide éthique communément accepté, et que les comités d'éthique d'investigation y fonctionnent depuis lors. Le Code d'Éthique Médicale d'Islande de 1992 dit, par exemple, que "Le médecin doit toujours tenir compte, dans ses investigations sur les êtres humains, du bien-être de chacun de ses patients ou des volontaires. Il doit, dans tous les cas, appliquer la Déclaration d'Helsinki avec ses amendements postérieurs". Le Code d'Éthique Médicale de l'Association Médicale Finlandaise (1988) et son Manuel d'Éthique Médicale (1994) s'appuient sur Helsinki III et IV, présentées du point de vue d'un développement ferme et généreux des droits des patients. Dans le Manuel, le Code de Nuremberg apparaît à une place d’honneur, entre le Serment d’Hippocrate et la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies..
Le Code d'Éthique Médicale de l'Ordre National des Médecins de la Pologne (Décembre 1991) dédie le Chapitre II au traitement des recherches scientifiques et expérimentations médicales. La réglementation est très ample et riche de nuances (10 articles), et conforme aux normes de la Déclaration d'Helsinki IV. Elle inclut également des normes sur l'éthique de la publication biomédicale. En contraste, le Code d’Éthique Médicale de 1993 offre une régulation comparativement plus simple.
Le traitement des normes sur l'expérimentation humaine dans les pays latino-américains présente un ensemble très irrégulier. D'une part, elles ont été ignorées dans certains pays jusqu’aujourd’hui. C'est ainsi que, par exemple, jusqu'à présent, en Argentine, le Code d'Éthique de la Confédération Médicale de 1964, encore en vigueur, ne fait aucune mention à l’éthique de l'expérimentation médicale sur les êtres humains. Les Principes d'Éthique Médicale, de Cuba, publiés en 1983, se limitent à si-gnaler que le médecin doit éviter de causer des dommages aux personnes saines ou malades dans les travaux d'investigation qu'il réalise. Le message du Code de Nuremberg n'a rencontré que peu d'écho dans les codes d'éthique médicale de certains pays, tels que la Bolivie (1986), la Colombie (1981) et le Guatémala (1984 et 1993). Ce vide si répandu de réglementation déontologique professionelle est fréquemment rempli par la legislation sur la matière.
Le message de Nuremberg a connu néanmoins des adhésions précoces en Amérique Latine. Tel est le cas du Brésil qui devance tous les autres pays avec son Code d’Éthique de l’Association Médicale Brasilienne de 1953, à peine cinq ans et demi après la sentence du Tribunal militaire américain. Le Code d'Éthique et de Déontologie du Collège Médical du Pérou, approuvé en 1970, a accueilli le texte complet d'Helsinki I dans son article 94. Vu que le Code de 1970 est encore en vigueur (le renouvellement des Codes se fait généralement de manière très lente en Amérique Latine), les versions postérieures de la Déclaration n'ont pas pu encore entrer dans le Code péruvien.
Au Costa Rica, le Code de Déontologie Médicale de 1970, de la Fédération des Médecins, constitue une surprise de modernité et d'anticipation de la figure des comités d´éthique de la Déclaration d’Helsinki II: non seulement qu'il accueille pleinement Helsinki I, sinon qu'il impose l'évaluation de la compétence de l'investigateur par un organisme jurisdictionnel indépendant et il exige que toute investigation sur les malades mentaux soit préalablement approuvée par une Comission Scientifique nommée à cet effet. Il établit, en outre, des garanties pour la protection de la santé et pour compenser les dommages éventuels causés sur les sujets. Le Code de 1981 établit dans l’Article 5 que “le médecin doit observer les principes éthiques des “Déclarations de Genève et d’Helsinki”, adoptées par l’Association Médicale Mondiale (...). Le texte de ces Déclarations est ajouté au Code.
Le Chili recueille également dans son Code d'Éthique (1986) l'essentiel des conditions d'Helsinki III et il inclut, entre les documents qui accompagnent le Code, non seulement cette Déclaration, mais aussi le texte complet du Code de Nuremberg.
B. La médiation de la Déclaration d'Helsinki dans l'incorporation sélective de la doctrine du Code de Nuremberg
Jay Katz se compte parmi les rares auteurs qui affirment que la doctrine du Code de Nuremberg n’avait pas de chances d’avoir de la continuité, étant donné l’énorme difficulté de son application pratique. Pour Katz, la haute exigeance éthique de la première clause impliquait le détrônement inévitable et immediat du Code de sa position prominente. Il affirme que le Code de Nuremberg fut relégué à l’histoire au moment même de sa naissance7.
Il est universellement accepté nonobstant, et malgré le regrétable manque de documentation sur le thème, que la Déclaration d’Helsinki fut le véhicule qui transporta la doctrine de Nuremberg aux codes des associations médicales nationales. Point n'est besoin d'une analyse détaillée pour vérifier qu'en effet les codes des associations médicales nationales s'inspirent, calquent ou transcrivent, en tout ou en partie, des différentes versions d'Helsinki et que Helsinki a calqué de nombreux points du Code de Nuremberg8.
a. Ce qui a été accepté à travers Helsinki
Si l'on recompte, avec l'instrument heuristique signalé auparavant, les Codes qui transcrivent explicitement les critères éthiques de Nuremberg, nous obtenons les résultats signalés à la table 3. Ces données nous indiquent une réponse très variable, tant en ce qui se rapporte aux différents pays comme en ce qui concerne les contenus du Code.
L'Académie Suisse des Sciences Médicales a incorporé dans ses Directives tous les critères acceptés, alors que d'autres pays (Irlande, Luxembourg, Brésil, Chili, Colombie ou Guatémala) n'en incluent que deux ou trois seulement.
Le critère du consentement libre du sujet a trouvé une acceptation universelle. Certains autres critères sont assez largement acceptés: la condition de l'expérimentation préalable sur l’animal (critère c, 11 pays), l'obligation d'éviter ou de minimiser les dommages aux sujets (critères d et j, 9 et 10 pays, respectivement), le devoir d'atteindre un calcul favorable du quotient des bénéfices/risques (critère b, 9 pays) et, finalement, l'exigence de qualification scientifique des investigateurs (critère h, 10 pays). D’autres critères n’ont reçu qu’une adhésion très limitée: tel est le cas du critère g9.
Toutefois, beaucoup d'omissions sont compensées par le fait que de nombreux codes (Allemagne, Danemark, Espagne, Finlande, Irlande, Islande, Norvège, Suède, Suisse, Chili, Colombie Costa Rica, Pérou, Uruguay) établissent expressément que les successives versions de la Déclaration d'Helsinki sont le point de référence valable pour évaluer dans ces pays l'éthiqe de l'investigation biomédicale. La France, quand à elle, établit comme guide éthique de l'expérimentation humaine ce que la loi signale à cet égard. Il en est de même avec l’Autriche: la Chambre des Médecins Autrichiens n’a jamais promulgué un Code d’Éthique médicale: en l’Autriche, l’expérimentation médicale est réglée par les dispositions de la loi des médecins, la loi du médicament, et la loi des établissements sanitaires. Nonobstant, la Chambre autrichienne s’est adérée à la doctrine du Code de Nuremberg et à celle de la Declaration d’Helsinki.
Il n'y a pas de normes éthiques proprement dites pour l'expérimentation sur les êtres humains dans les codes de l'Argentine, de la Bolivie, de Cuba et du Honduras.
b. Ce qui n'a pas été accepté du Code de Nuremberg
Deux clauses du Code de Nuremberg, qui situent les investigateurs et les sujets sur un plan de haute exigence morale, ont été oubliées, a mon avis, péniblement.
L'une d'elles, contenue à la fin du point 1, fait retomber sur tous les membres, du plus haut au plus bas, de l'équipe des chercheurs (ceux qui initient, dirigent ou coopèrent à la réalisation de l'expérience) la responsabilité éthique -non juridique, pénale ou civile- personnelle et indélégable, de s'assurer de la qualité éthique du consentement: le consentement du sujet n'est donc pas une simple formalité juridique ou administrative que l'investigateur doit satisfaire par routine, mais une décision morale sérieuse dont il doit se faire garant de l'authenticité. Consentir ou ne pas consentir n'est donc pas une décision qui dépend exclusivement du sujet, mais un jugement éthique qui implique gravement l'investigateur en tant qu'agent moral.
La seconde clause nurembergeoise abandonnée est celle formulée au point 9, et qui vient à déclarer que l'engagement acquis par le sujet n'est pas quelque chose de trivial dont on peut se dédire gratuitement. Le sujet, d'après Nuremberg, est un être moral responsable qui, après avoir obtenu un renseignement suffisant et une connaissance de toute la portée de l’expérience, et étant capable de mesurer l’effet de sa décision, consent volontairement. Il retient évidemment, avec sa liberté, le droit de mettre fin à sa participation dans l'expérience. Mais, en même temps, il ne perd pas pour autant sa responsabilité, de manière qu'il n'exercera ce droit, selon Nuremberg, que "s'il estime avoir atteint le seuil de résistance, mentale ou physique, au-delà du quel il ne peut aller”.
Les versions successives d'Helsinki n'ont pas repris ces deux exigences éthiques, et elles n'apparaissent donc pas non plus dans les Codes.
La première disparaît sans laisser de trace, s’étant transformée en avertissement occasionnel de ce que le consentement du sujet “donné de plein gré après tous les éclaircissements nécessaires, ne diminue en rien la responsabilité professionelle, civil ou pénale du directeur de la recherche”10.
La réalité démontra que cet aspect de la première clause de Nuremberg était abusée partout. ll va sans dire qu'Helsinki a opté, en opposition avec Nuremberg, pour une conception minimaliste de la taille morale de l’expérimentateur. Pour aider d’une bequille morale la faiblesse morale si fréquemment démontrée des expérimentateurs, l’AMM introduit dans Helsinki II l’obligation de soumettre le protocole des expériments sur l’homme à un comité indépendant spécialement désigné à cet effet, pour avis et conseils. Ainsi s'éteignit l'exigence de ce que l'investigateur soit personnellement le garant de l'authenticité éthique du consentement du sujet. Dès lors, ce sont les comités d'éthique d'investigation eux-mêmes qui se chargent de la surveillance du processus de consentement libre et bien renseigné du sujet. Il ne pouvait être autrement à partir du moment où les scandales dénoncés par Beecher11 et Pappworth12 avaient démontré qu'il n'était pas possible de se fier à l'intégrité morale des expérimentateurs: ces derniers, d'après Helsinki, sont soumis de manière inexcusable à des contrôles administratifs et éthiques externes.
En ce qui concerne la seconde, on y voit une trace à peine perceptible dans le Code de Déontologie Médicale du Vénézuéla, de 1971, quand il indique dans son article 115, alinéa b): Tout sujet doit avoir la faculté de pouvoir interrompre à un moment quelconque l'expérience en cours, lorsque la situation personnelle l'exige.
Helsinki opta pour une conception minimaliste de la taille morale du sujet: afin d'obtenir plus facilement son consentement, on lui a laissé la porte permanentement ouverte pour qu'il puisse abandonner l'expérience quand bon lui semble, sans avoir à en alléguer les motifs ou les raisons. Il existe donc un consentement du type Nuremberg et un consentement du type Helsinki. Pour Helsinki, en opposition avec Nuremberg, le consentement conféré par le sujet n'oblige aucunement à un compromis sérieux: c'est toujours une décision provisoire et fragile, pour ne pas dire arbitraire et capricieuse. L’engagement du sujet peut être délié, rétracté, à tout moment: il est libre de revenir sur son consentement selon sa fantaisie. A mon avis, le consentement du type Nuremberg implique l’insertion des renseignements indispensables sur les conséquences qui se dérivent de l'abandon de l'expérience de la part du sujet. Cette information rend le consentement plus éclairé, libre et rationnel que celui du type Helsinki. Celui-ci favorise une conduite moins responsable qui est possiblement à l'origine des abandons de beaucoup de sujets et qui terminent par invalider ou affaiblir la force d'un grand nombre d'expériences cliniques.
Que je sache, personne n'a étudié récemment le contraste entre ces deux types de consentement. Après les critiques de Beecher au Code de Nuremberg en affirmant que le consentement exigé par lui est inaccessible13, la question de ce point si intéressant n'a pas été remise sur le tapis jusqu’à ces jours14. Aussi, la tâche de concorder la liberté du sujet d'abandonner l'expérience avec la responsabilité qu'il acquiert, en tant que personne morale mûre, de poursuivre dans l'expérience, sauf en cas de situations qui justifient cet abandon, reste-t-elle en suspens dans l'éthique de l'expérimentation humaine.
Il me semble, qu'à l'occasion de l'anniversaire que nous célébrons, ce problème mérite une reconsidération profonde. Et cela prouve que l'héritage éthique de Nuremberg n'est pas épuisé. Merci pour votre attention.
L´étude de 58 codes d’éthique médicale promulgués entre 1950 et 1996, dans 16 pays de l‘Europe et 13 de l’Amérique latine, permet d’arriver, compte tenu du caractère incomplet de l’esquisse faite, à une conclusion provisoire: l’acceptation des prescriptions du Code de Nuremberg par les codes des associations médicales nationales a été un procès lent, tardif et partiel.
En réalité, il fallut arriver à 1975, à la suite de la publication de la seconde Déclaration d’Helsinki, pour observer une acceptation étendue et franche des normes de Nuremberg dans des codes de déontologie. Jusqu’alors les codes ou bien restaient muets au sujet de l’éthique de l’expérimentation sur l’homme, ou bien se contentaient d’affirmer des platitudes à ce propos. De cette indolence générale s’excluent la Suisse, où l’Académie Suisse des Sciences Médicales publia en 1971 des Directives très modernes et complètes, et aussi le Brésil, qui en 1957, et le Perou, le Costa Rica et le Vénézuela, en 1970 et 1971, se font l’écho de Helsinki dans leur Codes d’Éthique Médicale.
Les dix critères de Nuremberg ont été l’objet d’une acceptation sélective, filtrée à travers Helsinki II. Par exemple, l’exigence indispensable du consentement du sujet à été admise par tous. La nécessité de l’expérimentation préalable dans l’animal, et les devoirs de minimiser les risques ou de compenser les dommages liés à l’expérience ont été admis par la majorité des codes.
Mais, plus intéressant que l’étude des acceptations c’est la considération des refus. Deux normes de Nuremberg n’ont trouvé place dans aucun code déontologique: celle qui pose sur la conscience de tous ceux qu’initient, dirigent ou collaborent dans la recherche la grave responsabilité d’évaluer l’authenticité du consentement du sujet; et celle qui confère au sujet le droit de terminer sa participation à l’experience “si on arrive à une situation, physique ou mental, dans laquelle il lui semble impossible de continuer dans la même”. Dans l’opinion de l’Auteur, le refus général de ces deux normes, très exigeantes de sincérité et rectitude dans les expérimentateurs le même que dans les sujets, permet de parler de deux types différents de consentement: le type Nuremberg, généreux et presque religieux, et le type Helsinki, minimaliste et presque libertaire.
(1) Le fait frappant est que la doctrine de Nuremberg resta pratiquement dans l’oubli pendant une longue période en Europe et en Amérique Latine, où elle en fut acceptée qu’après 1975 par l’intermédiaire de la Déclaration d’Helsinki II de l’AMM.
Le Code n’attira que tardivement l’attention de l’AMM. Cette Association, crée en 1947 pour être un forum libre et ouvert pour les questions d’éthique et d’éducation médicale, se decida, après beaucoup d’hésitation, à faire des recommadations destinées à guider les médecins dans les recherches biomédicales, en adoptant en juin 1964 sa Déclaration d’Helsinki (dénommée Helsinki I). Cette Déclaration fut profondement amendée en octobre 1975 à Tokyo (Helsinki II). Elle à été l’objet d’amendes mineures à Venise, octobre 1983, et à Hong Kong, septembre 1989), mais on en parle habituellement d’Helsinki III ou IV.
Beaucoup d’auteurs sont fortement préjugés à faveur d’une influence précoce et repandue du Code de Nuremberg, d’ailleurs non demontré a mon avis. On a affirmé, sans fondement, que Nuremberg est présent à la Declaration de Genève et au Code International d’Éthique Médicale, les documents fondamentaux de l’AMM (Ainsi, par exemple, Perley S, Fluss SS, Bankowsky Z, Simon F. The Nuremberg Code: An International Overview. En: Annas GJ, Grodin MA. The Nazi Doctors and the Nuremberg Code. Human Rights and Human Experimentation. New York; Oxford University Press. 1992: 149-173). Beecher a dit en 1959 que les dix points du Code de Nuremberg étaient devenus une sorte de Credo occidental (Beecher HK. Experimentation in Man. JAMA 1959;169:461-468), mais ceci est une affirmation volontariste, au moins en ce qui concerne l’Europe et l’Amérique Latine.
En vérité, parmi les documents promulgués par l’AMM, seul une clause des Règles pour Temps de Conflit Armé, adoptées par l’AMM à La Havane en 1956, est en rélation directe avec Nuremberg: son paragraphe 3 dit, dans l’esprit de Nuremberg: “L’expérimentation sur l’être humain est soumise en temps de guerre au mêmes règles qu’en temps de paix; elle est formellement interdite sur toute personne ne disposant pas de sa liberté et notamment sur les prisonniers civils et militaires et sur les populations des pays occupés.”
Il serait intéressant de rechercher, au delà des normes institutionelles, l’impact immédiat du Code dans la pratique réelle. Un coup d’œil sur les grands journaux médicaux du moment montre un manque général d’intérêt autour du Code. Un exemple saisissant: la sentence contre les médecins nazis fut publiée dans le JAMA (la publicaction officielle de l’Association Médicale Américaine) sous la forme extrêmement humble d’une lettre du Correspondant à Berlin contenant une version journalistique, non technique, du jugement et du Code (Foreign Letters. Berlin. From our Regular Correspondent. The Nuremberg Trial Against German Physicians. JAMA 1947;135:867-868).
(2) Le silence ou l’ignorance du Code de Nuremberg se dissipe au moment où l’intérêt pour l’éthique médicale s’implante avec force à partir des années 70. Les articles commentant le Code sont, de 1947 à 1963, pratiquement inéxistants, à juger la bibliographie annexe à l’œuvre de Ladimer et Newman (Ladimer I, Newman RW, eds. Clinical Investigation in Medicine: legal. Ethical, and Moral Aspects. An Anthology and Bibliography. Boston: Boston University Law-Medecine Research Institute, 1963: 493-516).
(3) On doit excéptuer la seconde partie de la clause 5, autorisant la pratique d’expériences peuvant entraîner la mort ou l’invalidité du sujet à condition que les médecins qui font les recherches servent eux-mêmes de sujets à l’expérience.
(4) La signification de cet abandonnement, qui est traitée sommairement à la fin de ce travail, mérite une étude en profondeur. Il est étrange que de nombreux auteurs, lorsqu’ils transcrivent le texte du Code, omettent le texte de, ou les commentaires sur, les parties “engageantes” de ces deux clauses, qui sont celles qui veillent précisément à la qualité éthique du consentement, à sa concesion et sa rétractation. Voir, par exemple Fargot-Largeault A. L’Homme bio-éthique. Pour une déontologie de la recherche sur le vivant. Paris; Maloine, 1985:154; et Schaupp W. Der ethische Gehalt der Helsinki Deklaration. Frankfurt am Main; Peter Lang, 1994: 58.
(5) Il est étonnant de decouvrir que, contrairement à ce qui se passe aux périodes immediates anterieure et posterieure, l’activité productrice de Codes professionels à l’Europe entre 1957 et 1977 a resté pratiquement paralysée. Le phénomène n’a eu de paralèle à l’Amérique Latine.
(6) Communication personelle, Dr. Otmar Kloiber, (Bundesärztekam-mer, Cologne, Allemagne).
(7) Katz J.The Consent Principle of the Nuremberg Code: Its Significance Then and Now. En: Annas GJ, Grodin MA. The Nazi Doctors and the Nuremberg Code. Human Rioghts and Human Experimentation. New York; Oxford University Press. 1992:227-228.
(8) Voir à ce propos, sur les relations réciproques entre Nuremberg et Helsinki: Perley S, Fluss SS, Bankowsky Z, Simon F. The Nuremberg Code: An International Overview. En: Annas GJ, Grodin MA. The Nazi Doctors and the Nuremberg Code. Human Rioghts and Human Experimentation. New York; Oxford University Press. 1992: 157-160.
(9) Nombreux sont les Codes interdisant les expériences qui a priori peuvent entraîner la mort ou l’invalidité du sujet. Mais on en compute ici que les Codes qui réflètent la partie finale de la clause 5 du Code. Avec une touche d’humour plein de malignité, le Code accepte la possibilité d’une exception: le cas, peut-être, où les médecins qui font ces recherches si dangereuses servent eux-mêmes de sujets à l’expérience. Ce critère, qui ressent des ordalies, avait été inclus uniquement dans les Directives pour la recherche expérimentale sur l’homme de l’Académie Suisse des Sciences Médicales de 1971, qui disent: “Il n’est pas permis de procéder à une recherche expérimentale lorsque le projet fait apparaître un risque prévisible de lésion grave ou irréversible ou un danger mortel, à moins que l’investigateur en chef ne s’y soumette lui-même. L’essai sur soi-même avec risque élevé ne devrait dans la règle être entrepis qu’en équipe”. Cette éthique pour kamikazes de la science en pouvait durer: sa permanence dans les Directives fut brève: elle avait disparu dans la nouvelle version de 1981.
(10) Académie Suisse des Sciences Médicales. Directives pour la recherche expérimentale sur l’homme. Bâle; Schwabe & Cie, 1971.
(11) Plus intéressant que relire l’article original (Beecher HK. Ethics and clinical research. N Engl J Med 1966;274:1354-1360) est sans doute de lire l’article de Rothman l’évaluant dans une perspective à long terme (Rothman DJ. Ethics and Human Experimentation. Henry Beecher Revisited. N Engl J Med 1987;317: 1195-1199).
(12) D’un point de vue de l’intérêt historique, il peut résulter aussi gratifiant que lire l’œuvre originale (Pappworth MH. Human guinea pigs: experimentation in man. London: Routledge, 1967) lire un article où le même Pappworth commente l’histoire de la génèse du livre et des réactions à sa publication: Pappworth MH. “Human guinea pigs” - a history. BMJ 1990;301:1456-1460.
(13) Beecher HK. Research and the Individual. Human Studies. Boston; Little, Brown and Co., 1970: 227-234 et 278-279.
(14) Herranz G. The retraction by the research subject of his or her free and informed consent: an historical-ethical explanation. International Bioethics Committee of UNESCO Proceedings, 1996 (in press).